Marc Canaple, responsable du département de droit social au sein de la direction des études de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris, explique à E24 en quoi la proposition de loi sur le travail dominical adoptée par l'Assemblée nationale va susciter de nouveaux débats. Le texte doit encore être examiné par le Sénat qui, c'est connu, est plus pointilleux que l'Assemblée nationale sur le plan juridique.

E24 - Sur Friedland, le blog de la CCIP, vous jugez la proposition de loi sur le travail dominical "imprécise et inégale". En quoi est-elle inégale?

Marc Canaple - Dans la différence de traitement entre les salariés. Ceux des fameux Périmètres d'Usage de Consommation Exceptionnelle, les PUCE, sont nettement mieux protégés que ceux des zones touristiques. La loi prévoit pour les premiers, à défaut d’accord collectif, le doublement du salaire et un repos compensateur alors que rien n'est envisagé pour les seconds.

Or, l’ensemble de ces salariés n’est pas, au vu de la loi, dans des situations objectivement différentes, ce qui peut caractériser une inégalité des citoyens devant la loi. L’opposition parlementaire a déjà manifesté sa volonté de déposer un recours devant le Conseil constitutionnel sur ce point et le risque d’une censure est bien réel. N’aurait-il pas été plus simple de laisser le soin aux partenaires sociaux de déterminer, dans toutes les catégories, les justes contreparties. C'est ce que préconisait le CCIP.

 

Et en quoi la proposition de loi est-elle imprécise?

Le texte prévoit que dans les PUCE, le préfet accordera des dérogations aux entreprises qui auront négocié un accord collectif dans lequel elles s'engagent en termes d'emploi. Cette rédaction est floue et source potentielle de contentieux. Un syndicat qui voudrait contester les dérogations accordées pourrait s'appuyer sur ce fondement et affirmer que les engagements pris par les entreprises ne sont pas suffisants. D’autant que la loi ne prévoit aucun engagement minimum.

Les syndicats étaient d’ailleurs demandeurs de plus de précisions, ce qui aurait été trop contraignant pour les entreprises. Il revient, en effet, à chacune de déterminer, au cours de la négociation, la teneur de ses engagements compte tenu de sa situation économique. C’est pour cette raison que les députés ont retenu une rédaction plus neutre. Pour autant, le risque que des syndicats ayant une opposition de principe au travail dominical utilisent ce biais existe.

 

Le volontariat des salariés prévu par la loi est-il réel?

Là encore, il est réel dans les PUCE où tout est bien encadré: les salariés peuvent demander à ne plus travailler le dimanche en respectant un préavis de trois mois ; tous les ans, en l'absence d'accord collectif, l'employeur est tenu de redemander à ses salariés s'ils veulent continuer à travailler le dimanche, etc.

Mais c'est comme pour tout : des travers existent. Il est certain que les contraintes économiques pesant sur le salarié seront susceptibles d’orienter son "libre choix". Et sur un point aussi sensible, le contentieux sera inévitable, comme c’est déjà le cas.

Mais, globalement, j'ose espérer que le nouveau cadre précisément défini contribuera à ce que les choses se passent bien. Espérons aussi qu’il influe sur les pratiques dans les zones touristiques dans lesquelles le principe du volontariat n’est pas posé.

 

Existe-t-il un moyen d'améliorer la condition des salariés des zones touristiques?

Ce peut être fait par le biais de conventions collectives de branche ou d’entreprise. Il est aussi possible de convenir de contreparties individuelles dans le contrat de travail, lors de l'embauche.

L’employeur devra alors veiller à respecter le principe d’égalité de traitement entre ses salariés. Tout se réglera donc au cas par cas, le plus souvent dans le cadre d’accords collectifs.

 

Parce que les accords priment sur la loi?

Dans ce domaine, les dispositions conventionnelles (accords de branche, accords d'entreprise) priment sur la loi dès lors qu'elles contiennent des dispositions plus favorables pour les salariés.

En outre, dans les PUCE, pour lesquelles la loi est très avantageuse, les accords de branche priment de toute façon sur la loi, qu’ils soient ou non plus favorables. S'il n'y en a pas, la loi s'appliquera par défaut. En l'occurrence, l'accord peut être moins bénéfique que la loi pour le salarié même si les négociations qui vont s’engager auront toujours en ligne de mire le doublement du salaire prévu par défaut.

 

Une impression générale?

Ce texte crée de la confusion et sera compliqué à appliquer. Tous les problèmes devront se régler au cas par cas, en fonction des rapports de force, des positions syndicales ou patronales, etc. On peut regretter également que la loi aille, contrairement à ses apparences, à contre-courant du développement du dialogue social dans l’entreprise. Peut-on réellement croire que les syndicats seront prêts à négocier, dans les PUCE, des contreparties inférieures à celles prévues par la loi et auxquelles les salariés auront automatiquement droit si la négociation échoue?